Thursday 16 February 2012

Éducation – Les erreurs laissées par les enseignants dérangent
Certains cahiers sont criblés de fautes même après correction. Est-ce là un manque d’attention des enseignants ou leur formation qui laisse à désirer ? Les parents, eux, recherchent la perfection. Cela crée des doutes et ils se posent des questions quant à l’impact d’une telle situation sur les études de leurs enfants. 
 
L’erreur est humaine, certes… Faut-il pour autant accepter des fautes laissées par des enseignants dans les cahiers des élèves ? Nadine est catégorique : « C’est inacceptable ». Cette mère de famille passe ses après-midi à vérifier tous les devoirs de ses deux fils. L’un est en CPE et l’autre en Form II dans un collège privé de Quatre-Bornes. « J’ai renoncé à ma carrière de secrétaire pour me consacrer entièrement à mes enfants. C’est beaucoup de sacrifices. C’est déconcertant de voir à quel point les enseignants laissent des fautes dans les cahiers des enfants. J’ai l’occasion de tout vérifier. Mais qu’en est-il de ces parents qui travaillent et qui n’ont pas de temps pour le faire ? » explique notre interlocutrice.  

Pour M. Boodhoo, « un enseignant qui laisse des fautes, n’a pas sa place à l’école… » Les propos de cet ancien manager d’un collège privé à Curepipe sont durs, très durs même. M. Boodhoo, aujourd’hui retraité, compte beaucoup d’années dans l’enseignement. Il croit fermement que « l’enseignant qui laisse des fautes n’a pas sa place dans ce métier. Il ne s’agit pas de corriger que les concepts, mais lorsque vous avez un cahier devant vous, il vous faut tout corriger. L’enseignement est un travail pour ceux qui ont l’éducation à cœur. C’est l’intérêt des enfants qui doit primer…» Il ajoute qu’un bon enseignant est patient, il aime ses élèves. « Celui qui croit que le professorat est payant se trompe, c’est un travail qu’il faut faire avec amour… »

Ce travail requiert du courage à tous les niveaux. M. Boodhoo raconte que pendant sa carrière, il n’a pas hésité de demander le transfert d’un enseignant qu’il jugeait incompétent. « Au fil du temps, le professorat a perdu de sa valeur. Si les enseignants continuent à travailler au petit bonheur, c’est l’enfant qui sera perdant … » Notre interlocuteur n’en démoral pas: les fautes laissées par des enseignants ont des conséquences directes sur les élèves. « Le drame à l’île Maurice est qu’il y a beaucoup de personnes qui auraient pu embrasser le professorat, mais qui préfèrent faire autre chose. C’est un métier que l’on fait par vocation », dit-il.

L’éducation des enfants n’est pas uniquement la responsabilité des enseignants ou de l’école. Les parents ont, eux aussi, un grand rôle à jouer. « Le sentiment des parents est que leurs enfants doivent être bien traités. Ils ne doivent pas connaître les mêmes difficultés qu’eux ont connues. Tout parent qui remarque qu’il y a des erreurs dans les cahiers de son enfant doit immédiate­ment en faire part au responsable de l’école qui prendra alors les mesures nécessaires. Les enseignants font un travail sacré et doivent donc être disciplinés… Cela arrive qu’un instituteur passe par des difficultés, mais les erreurs ne doivent pas être récurrentes. »

M. Boodhoo est très critique envers la formation que reçoivent les enseignants. « La formation est importante. Certes, il faut des qualifications, mais, avant tout, il faut une formation continue. L’enseignant doit continuer à apprendre, à lire, à faire des recherches, parce que l’éducation est un secteur dynamique… »  M. Boodhoo a une vision nette de l’école qui fait du bien à ses élèves. « L’enseignement est un travail noble et une école doit être capable de former des adultes responsables. Si elle ne peut pas donner ce qu’il y a de mieux, il est préférable qu’elle ferme ses portes », conclut-il.

Sheila Thancanamootoo du MIE : « La correction des devoirs est importante »
> Lors de la formation des enseignants, mettez-vous l’accent sur la correction des devoirs ?

Choisir, « inventer », donner et corriger des devoirs fait partie de l’enseignement. Cela permet de mieux encadrer, soutenir et renforcer l’apprentissage. C’est un exercice important car il constitue une forme de pédagogie différenciée puisque la correction, quand elle est individuelle, est adaptée selon la réponse de l’apprenant. Faite de manière collective, elle permet de croiser les réponses et de faire réfléchir et raisonner sur les réponses, ou même sur la question déjà, et de discuter de la manière de trouver, de calculer  et/ou de formuler la/les réponse(s).

Oui, la correction des devoirs est importante. Elle contribue à ce que la classe ne se fasse pas dans un sens seulement, soit professeur/élève(s). Elle permet aussi une remontée d’informations vers l’enseignant qui va pouvoir en tenir compte pour décider de la suite des opérations. Nos stagiaires sont formés dans ce sens.

> L’enseignant doit-il tenir compte uniquement des concepts enseignés dans une matière ou également des fautes grammaticales laissées par l’élève, lors des corrections ?
Il n’y a pas là de réponse unique. Nous nous retrouvons la dans le vieux débat entre le fond et la forme ! Quand le sujet enseigné n’est pas une langue mais un domaine de savoir comme la géographie ou les sciences, on apprend aux stagiaires à distinguer ce qui relève de la compétence ou de la capacité en cause de ce qui relève d’autre chose, notamment l’expression. Dans ce cas, l’enseignant peut choisir à un moment particulier, de ne considérer que l’élément de savoir ou la procédure enseigné(e). Cela permet aux élèves de se concentrer sur une chose plutôt que de disperser leur attention sur un éventail de choses – la capacité d’attention étant limitée.  Il est cependant certain que l’expression n’est pas à négliger.

D’abord parce que ces devoirs constituent des occasions authentiques d’expression dans les langues que l’on apprend à l’école. Ils permettent d’aider l’apprenant à s’exprimer de manière compréhensible et correcte. Il est alors souhaitable que l’enseignant n’utilise pas la technique de ciblage d’un savoir ou de faire d’une opération son objectif exclusif. Une fois que le savoir n’est plus aussi nouveau et « attention consuming », il peut et devrait envisager de faire attention à la situation dans son ensemble, et donc de se soucier de l’expression. Il est aussi possible que l’enseignant reprenne durant une classe de langue le devoir de géographie ou de science et de travailler alors essentiellement l’expression.

Il est donc compréhensible qu’un enseignant ne s’offusque pas des maladresses et des erreurs d’expression durant la période de découverte et d’entraînement d’un sujet quelconque. Il est cependant souhaitable qu’il trouve des occasions ou qu’il en crée pour pouvoir porter attention à cet aspect du devoir. D’autant plus que c’est dans ce genre de situation que l’élève a vraiment l’occasion de s’exprimer pour de vrai dans les langues de l’école.

On peut regretter toutefois que des enseignants cèdent à la facilité et confondent l’année normale de travail avec les moments spécifiques d’examen et de test. Certains enseignants qui participent à l’exercice de correction du CPE savent que dans les matières non linguistiques, on ne pénalise pas le candidat pour ses erreurs d’expression; ils croient alors bien faire en faisant de ce principe d’évaluation finale un principe d’enseignement. Ils ont tort.

>  Existe-t-il une lacune au niveau de la formation des enseignants ?
Il faut aussi considérer – malheureusement –que certains enseignants laissent des erreurs dans les cahiers parce qu’ils ne les ont pas repérées, faute d’acuité et de maîtrise de la langue. Les stagiaires nous arrivent avec des profils différents et sortent de chez nous avec des profils tout aussi différents.  Nous revoyons régulièrement le contenu de nos pro­gram­mes de formation pour les rendre plus adaptés aux profils de nos stagiaires et plus adéquats pour ce qui est attendu d’eux. Le ‘pass mark’ a été revu à la hausse depuis quelques années. Il faut bien aussi accepter que les enseignants soient plus compétents dans tel ou tel volet que d’autres. On n’exige pas d’un stagiaire qu’il obtienne 80 ou 90 % dans tous les modules ! Et on veut aussi penser qu’un examen ne détermine pas tout, que l’enseignant, comme nous tous, présente, tout au long de son existence, une éducabilité...

> Est-ce que le MIE a un programme de suivi lorsque les enseignants ont fini leurs cours ?
Non, puisque nous ne pouvons pas nous substituer aux autres corps d’encadrement et de supervision des enseignants. Nous visitons nos stagiaires tant qu’ils sont encore stagiaires, mais ensuite nous passons la main aux inspecteurs et directeurs des établisse­ments. En revanche, si le ministère souhaite une formation continue de longue ou de courte durée pour l’ensemble du corps d’enseignant, nous montons le dispositif et assurons la formation.
Il est également possible au MIE, d’inviter un groupe d’enseignants à un « refresher module » ou à une formation pointue de courte durée. Nous le faisons alors toujours en partenariat avec le ministère. Tout compte fait, nos enseignants ont aujourd’hui de nombreuses opportunités de formation et de développement professionnel étalées tout au long de leur carrière.

>  Que proposez-vous pour qu’un enseignant ne laisse pas de fautes dans ses copies ?
Le maître d’école et son adjoint doivent passer de temps en temps en revue les cahiers de devoirs. Ils identifieront alors ceux qui seraient concernés. Ils faudrait ensuite chercher des solutions dans le respect de chacune des parties et pour l’intérêt de tous.

La GPTU : « Il y a la pédagogie de l’erreur »
Les salles de classes sont bondées. Il faut donc comprendre le contexte dans lequel travaillent les enseignants, commente Ashik Junglee. Le conseiller technique de la General Purpose Teachers Union (GPTU) soutient qu’avec le nombre de cahiers à corriger, il n’est pas à écarter qu’il y ait des erreurs. « L’enseignant doit faire très attention à ses corrections. Il ne faut pas que cela devienne une habitude de laisser des fautes. » Notre interlocuteur évoque également l’attitude de certains parents. Ces derniers pensent à tort que c’est en donnant beaucoup de devoirs que l’enfant va réussir. Tel n’est pas le cas », précise-t-il. « Il existe une tendance chez les parents qui croient que le fait de donner beaucoup de devoirs, veut nécessairement dire que les enseignants travaillent.

Ceux qui ne donnent pas de devoirs subissent alors des reproches alors que qu’ils travaillent autrement en classe. » Le conseiller technique précise qu’il y a aussi la pédagogie de l’erreur. Cela consiste à laisser volontairement des fautes qui seront corrigées par l’élève. « Utilisant les fautes laissées, l’enseignant amène l’enfant à réaliser ses fautes et à les corriger. C’est une méthode qui a fait ses preuves… » reconnaît Ashik Junglee .
Difficile d’accorder une attention particulière à chaque élève.

Harry Luchmun compte 20 ans d’expérience dans l’enseignement. Il n’est pas tendre envers certains parents. « Certains parents croient à tort que les enseignants n’ont pas de vie sociale et doivent avoir la même attention quotidiennement. Cela n’est pas possible. » Harry Luchmun est d’avis que beaucoup de travail doit être fait au niveau des salles de classe. Plusieurs enseignants donnent des devoirs au tableau où l’enfant les corrige dans son cahier et c’est l’enseignant qui appose sa signature à la fin du devoir. Cette méthode n’est pas très appréciée des parents affirme l’enseignant. Ce qui est, selon lui, malheureux.

Harry Luchmun est aussi d’avis que certains enfants ont besoin d’une école spécialisée. « Il existe des enfants qui ont des besoins spécifiques, je crois fermement que ces derniers devraient être placés dans une école spécialisée. Avec une classe de 40 enfants, ce n’est pas toujours évident d’accorder une attention particulière à chacun d’entre eux, surtout si vous avez un enfant qui a besoin d’une attention spéciale. » M. Luchmun note que l’enseignement n’est un métier pas de tout repos. Il a ainsi remarqué que les jeunes ne sont pas toujours enthousiastes à se joindre à cette profession. Ce qui est dommage », avoue-t-il.

Vinod Seegum : « Ce n’est pas bien que les enseignants laissent des fautes… »
Tous les enseignants veulent bien faire. Leur plus grand désir : que leurs élèves obtiennent les meilleurs résultats. Dans la pratique, ce n’est pas toujours évident. « Tout enseignant ayant obtenu une formation veut faire de son mieux. Il n’est pas toujours évident de corriger à la perfection. Imaginez que vous avez 40 cahiers pour cinq matières.

Cela vous fait déjà 200 cahiers. Il arrive qu’une ou deux fautes soient laissées malencontreusement. Toutefois, il existe une hiérarchie à l’école. Les enseignants ont des responsables qui peuvent également vérifier les cahiers. Il y a les assistants maîtres d’école, les maîtres d’école, les Area Inspectors, les Principal Inspectors et le directeur pour veiller au bon fonctionnement », affirme Vinod Seegum. Ce n’est toutefois pas une excuse pour laisser des fautes, affirme le syndicaliste.

Vinod Seegum met l’accent sur une des pratiques qui pourrait aider : l’utilisation de l’ardoise. « Certains parents sont contre cette méthode en CPE, pensant que cela va à l’encontre du développement de leurs enfants. Ce n’est pas le cas. Après avoir mis un devoir au tableau, l’enseignant demande alors aux enfants d’écrire leurs réponses sur l’ardoise. Cela permet d’aller vite et de voir les erreurs laissées. C’est une méthode qui a fait ses preuves… » Ce dernier nous confie aussi qu’il y a des lacunes dans la formation dispensée par le Mauritius Institute of Education.

« Il y a un décalage entre ce qui est enseigné et ce qui se passe sur le terrain. Il faut donc adapter la formation à ce qui se passe en classe. Il s’agit de compren­dre que chaque enfant a des besoins différents. » 

Source: DéfiMédia
Annick Daniella Rivet

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