Tuesday 21 February 2012

Langue maternelle : défi ou norme ?


Langue maternelle : défi ou norme ?
La Journée de la langue maternelle est célébrée ce mardi 21 février. L’État a été bien inspiré en introduisant le Kreol morisien et le bhojpuri au cycle primaire. Depuis leur introduction, ces deux langues fleurissent. 
C’est au mois de janvier dernier que le ministère de l’éducation a introduit le Kreol morisien et le bhojpuri en Standard I. Ces deux matières sont essentielles à la bonne compréhension du cursus scolaire par les enfants.

Dans cette optique, l’Institut Cardinal Jean Margéot (ICJM) lance une deuxième série de manuels Prevok-BEK.
Jimmy Harmon, constate que le Kreol morisien se porte très bien. Il est d’avis que l’État a fait ce qu’il fallait et a corrigé une anomalie. « L’État a réhabilité une erreur historique. C’est à nous de faire avancer maintenant la langue maternelle. L’État peut toujours jouer un rôle de facilitateur. »

«La langue maternelle, en l’occurrence celle qui est en tout cas la plus parlée, le Kreol morisien, se porte très bien. Elle a fait une progression fulgurante. Elle est utilisée maintenant dans toutes les situations, surtout depuis que tout le travail de standardisation a été fait et davantage maintenant avec l’enseignement du Kreol morisien comme langue optionnelle au primaire.» Il est aussi bon de souligner que le Kreol morisien se trouve maintenant parmi les Communication Skills, aux côtés de l’anglais et du français, dans le nouveau curriculum du prevoc.

Le responsable du department of Applied Pedagogy à l’ICJM, pense qu’il ne faut pas dormir sur ses lauriers. Il croit fermement qu’on est sur la bonne voie et qu’il y a encore des choses à faire. «Au niveau de l’ICJM et le Bureau de l’éducation catholique, nous pensons que les publications sont importantes. C’est ainsi que nous lançons une deuxième série de manuels Prevok-BEK, ce 21 février dans le cadre de la Journée internationale de langue maternelle au collège Père Laval. Nous travaillons actuellement sur un autre projet d’envergure  avec une maison d’édition allemande. Nous pensons annoncer le projet fin novembre 2012. Je sais  que le M. Choonee, ministre de la Culture, est très favorable à de telles initiatives. »

L’enseignement au niveau des écoles  n’est pas statique. Après avoir suivi une classe du Kreol morisien, Jimmy Harmon  pense qu’il faudra forcément revisiter, après un certain laps de temps le curriculum et tenir compte des avis des profs. «La qualité d’un tel enseignement passe aussi par la formation continue. Je pense que le Kreol morisien Unit de la Mauritius Institute of Education (MIE) est une initiative intéressante. Elle a tout notre encouragement. De notre côté, nous essayons d’apporter les compétences requises à notre secteur et surtout notre mode de formation traditionnel. »
Ce dernier pense fermement que le Kreol morisien ne va perturber pas l’enseignement du français. « Nous avons une graphie bien distincte. La structure du Kreol morisien en elle-même est différente du français mais plus proche de l’anglais. Il est  aussi considéré comme une matière optionnelle. D’ailleurs tout enfant a la capacité de bouger d’une langue à une autre. »

La deuxième phase, le bhojpuri
En ce qui concerne le bhojpuri, le ministre de l’Éducation ne compte pas en rester là, car après l’entrée de la langue au primaire, il a annoncé son usage au secondaire. Son ministère y travaille activement et le ministre est convaincu que la langue est familière aux élèves du secondaire en se basant sur l’expérience de certains établissements qui l’ont déjà introduite. Il s’agit donc de la mettre sur le même pied d’égalité que les autres matières.

Arvind Bissessur, le coordinateur pour la vulgarisation de cette langue nous confie que les manuels pour la STD II sont en préparation. « Nous avons été surpris de l’intérêt porté au bhojpuri. C’est ainsi que nous allons introduire des jeux et des chants traditionnels. L’enfant apprendra en jouant et en chantant… »

Il constate que le bhojpuri a bien progressé. Autrefois, cette langue n’était utilisée qu’à la maison. C’est la deuxième langue parlée après le Kreol morisien.  «À la maison, les gens ne réalisent pas qu’en parlant bhojpuri, ils apprennent une autre langue et, de ce fait, initient leurs enfants au vocabulaire. »

Avec son introduction dans les écoles, les choses ont évolué. Les enseignants ont deux types de réactions. «Les anciens admettent que cette langue leur sert à quelque chose. Ce qu’ils ont appris à l’époque, à savoir des chants, des jeux, des mots traditionnels, est maintenant mis en valeur. Ce qu’ils apprenaient aussi au sein des baitkas n’a pas été vain. Les jeunes enseignants sont, eux aussi, heureux de tirer avantage de l’héritage qui leur a été légué. Tout cela indique que le bhojpuri se porte très bien… »

Nita Rughoonundun-Chellapermal : « Le Kreol morisien ne perturbe pas l’apprentissage du français, il le facilite »
Nita Rughoonundun-Chellapermal, responsable de la Mauritian Kreol Unit au MIE donne son point de vue sur la progression de l’enseignement du kreol Morisien dans nos écoles.

> Quel est votre constat concernant l’enseignement dispensé dans nos écoles, un mois après l’introduction de la langue maternelle ?
Il est encore bien trop tôt pour se prononcer. L'enseignement est un processus qui se fait dans la durée. En revanche, on peut dire qu’au niveau des écoles, les classes ne sont pas vides ! J'ai visité deux écoles  mardi dernier où il y avait respectivement 28 et 65 enfants – répartis en deux groupes –  qui suivaient la classe de Kreol morisien. Un collègue a été dans une école où il y avait 28 enfants dans la classe. Bien sûr, il y a aussi des écoles où il n’y a que six ou huit élèves. Mais c’est tout à fait normal.

Notre but  n’est pas de compter le nombre d’élèves comme on dénombre les participants à la loterie nationale ! Au fur et à mesure que les enfants parleront à leurs parents de leur appréciation de la classe de Kreol, on peut imaginer que les effectifs vont encore augmenter. D’ailleurs, le nombre d’élèves intéressés n’est pas encore bien délimité ; on continue à recevoir de nouvelles demandes. En tout cas, on serait bien avisé de commencer à recruter les postulants pour l’enseignement de cette langue.

> Qu’en est-il de la formation des enseignants, existe-t-il une formation continue pour ceux engagés dans ce créneau ?
Nous rencontrons les enseignants de Kreol morisien toutes les semaines, parfois pendant une journée entière. Cette rencontre  nous permet de les écouter, de faire le point sur leurs difficultés et sur ce qui peut nous sembler poser problème. On en profite aussi pour aborder les aspects de l'organisation, de la gestion de la classe ou encore la  méthodologie.  Nous tenons aussi à préciser qu’au-delà de la formation, nous faisons confiance aux enseignants, à leur savoir-faire et à leur engagement.

Certains d’entre eux sont des enseignants de carrière très sensibles aux besoins des enfants. C’est d’ailleurs aussi pour cette raison que la formation des enseignants se poursuit, selon de nouvelles modalités,  qui tiennent compte de leur expérience du moment sur le terrain et qui sont du coup plus appropriées à leur nouvelle situation. Et l’on passe désormais à une autre étape : amener les enseignants à participer aux discussions en vue de l’élaboration du matériel pédagogique.

> Quelle est la situation à l’île Rodrigues ?
Rodrigues vient de vivre un moment de consultation en vue de la nouvelle direction de ses affaires. Elle a un nouveau Commissaire, qui est aussi commissaire à l’éducation. Laissons l’île  faire ses propres choix. Je suis confiante que le projet d’introduction du Kreol morisien dans les écoles à Rodrigues se fera dans l’intérêt des enfants de l’île et de celui de notre entente mutuelle. 

> Il existe une école de pensée selon laquelle le kreol morisien va perturber l’enseignement du français. Votre opinion ?
Il convient d'être très clair là-dessus: le Kreol morisien ne perturbe pas l’apprentissage du français ; il le facilite. Dans les premiers temps d'apprentissage d'une langue, on aborde celle-ci à partir de sa ou de ses langue(s). La pratique du Kreol permet à nos enfants de disposer d'un vocabulaire potentiellement appréciable en français.

Au lieu de voir dans le " Je pas gagné" timidement dit par un enfant de cinq ans, un énoncé syntaxiquement incorrect, on peut y voir la tentative de communiquer dans cette langue qu’il ne maîtrise pas encore mais qu’il a le désir de comprendre ; l’emploi correct pour se désigner en tant que celui qui parle – alors que « Mo » et « Je » sont en surface très différents - et que « Je » ne peut être ‘pris’ du Kreol ; l’emploi compréhensible et fonctionnellement efficace de la locution négative ;  l’utilisation d’un verbe dont on comprend le sens ; le tout arrangé selon un ordre qui fait que le message  est entendu. Bien sûr, ce passage – on dit en termes savants – cette interlangue doit évoluer pour donner « J’ai/Je n’ai pas eu/reçu … » mais en attendant, l’apprenti locuteur de français s’est fait comprendre et il est donc entré dans une situation d’échange authentique en français.

À  vouloir trop vite  l’excellence, on empêche trop d’enfants de démarrer !

> Vos propositions pour faire avancer la langue ?
Beaucoup a déjà été fait, grâce à l’engagement de certaines personnes depuis longtemps. Maintenant, ce qui reste à faire à court et moyen termes, c’est l’équiper de termes techniques disciplinaires – en mathématiques et en sciences notamment  afin qu’on puisse répondre aux besoins des enseignants et des élèves. Et puis, bien évidemment, il faut qu’il y ait davantage de personnes qui produisent en Kreol des textes de natures diverses, répondant à des fonctions communicatives diverses.

V.K. Beeharry : « Le bhojpuri ne peut pas être considéré comme langue maternelle… »
V.K. Beeharry rappelle qu’il y a plusieurs décennies, le bhojpuri était la langue la plus parlée par les hindous et les non-hindous à l’île Maurice principalement dans les camps des établissements sucriers. À cette époque, le bhojpuri était la langue parlée par la majorité des Mauriciens. L’ex-inspecteur pédagogique du ministère de l’Éducation pour les langues orientales soutient de plus qu’avec le développement rapide du pays, le Kreol morisien a pris de l’ampleur. Le mouvement de la population des régions rurales vers les villes, l’enseignement de l’anglais et du français a provoqué le déclin du bhojpuri pour laisser la place au Kreol morisien.

Ce dernier prend pour exemple les chiffres du recensement effectué en 2000 où il a apparaissait que 12.1 % de la population parlait le bhojpuri et 70.1 % utilisait le kreol Morisien. Pour lui : « En toute honnêteté, le bhojpuri ne peut être considéré comme langue maternelle. Le bhojpuri est un dialecte et non une langue comme certains voudraient le faire croire. Le bhojpuri a sa propre identité. Il faisait le lien non seulement entre les hindous, mais aussi entre les autres segments de la population pendant des décennies… Il joue un rôle important dans la société mauricienne et doit être préservé. Il y a un grand besoin de planifier les choses pour qu’il soit reconnu.»

De par sa connaissance du circuit scolaire, ce dernier affirme que le bhojpuri apportera son lot de confusion dans la tête des apprenants. « En introduisant le bhojpuri au niveau primaire, contre la volonté des parents, cela ne contribuera pas à l’objectif visé. Au contraire, il va créer plus de confusion chez les apprenants… » Ce dernier croit qu’il faut encourager les chansons, la littérature, le théâtre, la musique en bhojpuri. Pour lui, si le pandit s’exprimait ainsi, lors des cérémonies religieuses, les dévots seraient les plus grands bénéficiaires, puisque le message passerait sans ambiguïté.

Le défenseur de la langue hindi propose que le Mahatma Gandhi Institute (MGI) ne se limite pas à donner certains cours. « Il n’y a malheureusement pas de matériel approprié pour l’enseignement des langues orientales. Il y a un urgent besoin de revoir le matériel pour le primaire et le lower secondary. Certaines leçons sont plus difficiles à assimiler au primaire qu’au secondaire. Il y a un urgent besoin d’un panel pour réaliser les manuels. »

Parmi ses propositions, il estime qu’il faut revoir le choix des matières au niveau de la Form IV et de la Lower VI. De plus, ils ne sont pas nombreux  les collèges qui offrent l’hindi comme matière.
 
Source: DéfiMédia
Annick Daniella Rivet

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